"Je crois en Jésus Christ, qui a été crucifié."
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ENCYCLIQUE "EVANGELIUM VITAE"
du Bienheureux Jean Paul II
25 mars 1995
18.
Le
problème se pose aussi sur les plans culturel, social et politique,
et c'est là qu'apparaît son aspect le plus subversif et le plus
troublant, en raison de la tendance, toujours plus largement admise,
à interpréter les crimes en question contre la vie comme
des expressions
légitimes de la liberté individuelle, que l'on devrait reconnaître
et défendre comme de véritables droits.
On en arrive ainsi à un
tournant aux conséquences tragiques dans un long processus
historique qui, après la découverte de l'idée des « droits
humains » — comme droits innés de toute personne, antérieurs à
toute constitution et à toute législation des États —, se trouve
aujourd'hui devant une contradiction surprenante: en
un temps où l'on proclame solennellement les droits inviolables de
la personne et où l'on affirme publiquement la valeur de la vie, le
droit à la vie lui-même est pratiquement dénié et violé,
spécialement à ces moments les plus significatifs de l'existence
que sont la naissance et la mort.
D'une part, les
différentes déclarations des droits de l'homme et les nombreuses
initiatives qui s'en inspirent montrent, dans le monde entier, la
progression d'un sens moral plus disposé à reconnaître la valeur
et la dignité de tout être humain en tant que tel, sans aucune
distinction de race, de nationalité, de religion, d'opinion
politique ou de classe sociale.
D'autre part, dans les faits,
ces nobles proclamations se voient malheureusement opposer leur
tragique négation. C'est d'autant plus déconcertant, et même
scandaleux, que cela se produit justement dans une société qui fait
de l'affirmation et de la protection des droits humains son principal
objectif et en même temps sa fierté. Comment accorder ces
affirmations de principe répétées avec la multiplication
continuelle et la légitimation fréquente des attentats contre la
vie humaine? Comment concilier ces déclarations avec le rejet du
plus faible, du plus démuni, du vieillard, de celui qui vient d'être
conçu? Ces attentats s'orientent dans une direction
exactement opposée au respect de la vie, et ils représentent une
menace directe envers toute la culture des droits de l'homme. À
la limite, c'est une menace capable de mettre en danger le sens même
de la convivialité démocratique: au lieu d'être des
sociétés de « vie en commun », nos cités risquent de devenir des
sociétés d'exclus, de marginaux, de bannis et
d'éliminés. Et, si l'on élargit le regard à un horizon
planétaire, comment ne pas penser que la proclamation même des
droits des personnes et des peuples, telle qu'elle est faite dans de
hautes assemblées internationales, n'est qu'un exercice rhétorique
stérile tant que n'est pas démasqué l'égoïsme des pays riches
qui refusent aux pays pauvres l'accès au développement ou le
subordonnent à des interdictions insensées de procréer, opposant
ainsi le développement à l'homme?
20. Avec cette
conception de la liberté, la vie
en société est profondément altérée. Si
l'accomplissement du moi est compris en termes d'autonomie absolue,
on arrive inévitablement à la négation de l'autre, ressenti comme
un ennemi dont il faut se défendre.La société devient ainsi un
ensemble d'individus placés les uns à côté des autres, mais sans
liens réciproques: chacun veut s'affirmer indépendamment de
l'autre, ou plutôt veut faire prévaloir ses propres intérêts.
Cependant, en face d'intérêts comparables de l'autre, on doit se
résoudre à chercher une sorte de compromis si l'on veut que le
maximum possible de liberté soit garanti à chacun dans la société.
Ainsi disparaît toute référence à des valeurs communes et à une
vérité absolue pour tous: la vie sociale s'aventure dans les sables
mouvants d'un relativisme absolu. Alors, tout
est matière à convention, tout est négociable,même
le premier des droits fondamentaux, le droit à la vie.
De fait, c'est ce
qui se produit aussi dans le cadre politique proprement dit de
l'État: le droit à la vie originel et inaliénable est discuté ou
dénié en se fondant sur un vote parlementaire ou sur la volonté
d'une partie — qui peut même être la majorité — de la
population. C'est le résultat
néfaste d'un relativisme qui règne sans rencontrer d'opposition: le
« droit » cesse d'en être un parce qu'il n'est plus fermement
fondé sur la dignité inviolable de la personne mais qu'on le fait
dépendre de la volonté du plus fort. Ainsi la démocratie, en dépit
de ses principes, s'achemine vers un totalitarisme caractérisé.
L'État n'est plus la « maison commune » où tous peuvent vivre
selon les principes de l'égalité fondamentale, mais il se
transforme en État
tyran qui prétend pouvoir
disposer de la vie des plus faibles et des êtres sans défense,
depuis l'enfant non encore né jusqu'au vieillard, au nom d'une
utilité publique qui n'est rien d'autre, en réalité, que l'intérêt
de quelques-uns.
Tout semble se passer dans le plus
ferme respect de la légalité, au moins lorsque les lois qui
permettent l'avortement ou l'euthanasie sont votées selon les règles
prétendument démocratiques. En réalité, nous ne sommes qu'en face
d'une tragique apparence de légalité et l'idéal démocratique,
qui n'est tel que s'il reconnaît et protège la dignité de toute
personne humaine, est trahi dans ses fondements mêmes: «
Comment peut-on parler encore de la dignité de toute personne
humaine lorsqu'on se permet de tuer les plus faibles et les plus
innocentes? Au nom de quelle justice pratique-t-on la plus injuste
des discriminations entre les personnes en déclarant que certaines
d'entre elles sont dignes d'être défendues tandis qu'à d'autres
est déniée cette dignité? ».16 Quand on constate de telles
manières de faire, s'amorcent déjà les processus qui conduisent à
la dissolution d'une convivialité humaine authentique et à la
désagrégation de la réalité même de l'État.
70.
La racine commune de toutes ces tendances est le relativisme
éthique qui
caractérise une grande part de la culture contemporaine. Beaucoup
considèrent que ce relativisme est une condition de la démocratie,
parce que seul il garantirait la tolérance, le respect mutuel des
personnes et l'adhésion aux décisions de la majorité, tandis que
les normes morales, tenues pour objectives et sources d'obligation,
conduiraient à l'autoritarisme et à l'intolérance.
Mais la problématique du respect de la
vie fait précisément apparaître les équivoques et les
contradictions, accompagnées de terribles conséquences concrètes,
qui se cachent derrière cette conception.
Il est vrai que dans l'histoire on
enregistre des cas où des crimes ont été commis au nom de la «
vérité ». Mais, au nom du « relativisme éthique », on a
également commis et l'on commet des crimes non moins graves et des
dénis non moins radicaux de la liberté. Lorsqu'une majorité
parlementaire ou sociale décrète la légitimité de la suppression
de la vie humaine non encore née, même à certaines conditions, ne
prend-elle pas une décision « tyrannique » envers l'être humain
le plus faible et sans défense? La conscience universelle réagit à
juste titre devant des crimes contre l'humanité dont notre siècle a
fait la triste expérience. Ces crimes cesseraient-ils d'être des
crimes si, au lieu d'être commis par des tyrans sans scrupule, ils
étaient légitimés par l'assentiment populaire?
En réalité, la
démocratie ne peut être élevée au rang d'un mythe, au point de
devenir un substitut de la moralité ou d'être la panacée de
l'immoralité. Fondamentalement, elle est un « système » et, comme
tel, un instrument et non pas une fin. Son caractère « moral »
n'est pas automatique, mais dépend de la conformité à la loi
morale, à laquelle la démocratie doit être soumise comme tout
comportement humain: il dépend donc de la moralité des fins
poursuivies et des moyens utilisés. Si
l'on observe aujourd'hui un consensus presque universel sur la valeur
de la démocratie, il faut considérer cela comme un « signe des
temps » positif, ainsi que le Magistère de l'Église l'a plusieurs
fois souligné.88 Mais la valeur de
la démocratie se maintient ou disparaît en fonction des valeurs
qu'elle incarne et promeut: sont certainement fondamentaux et
indispensables la dignité de toute personne humaine, le respect de
ses droits intangibles et inaliénables, ainsi que la reconnaissance
du « bien commun » comme fin et comme critère régulateur de la
vie politique.
Le fondement de
ces valeurs ne peut se trouver dans des « majorités » d'opinion
provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance
d'une loi morale objective qui, en tant que « loi naturelle »
inscrite dans le cœur de l'homme, est une référence normative pour
la loi civile ellemême. Lorsque, à cause d'un tragique
obscurcissement de la conscience collective, le scepticisme en
viendrait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la
loi morale, c'est le système démocratique qui serait ébranlé dans
ses fondements, réduit à un simple mécanisme de régulation
empirique d'intérêts divers et opposés.89
Certains pourraient penser que, faute
de mieux, son rôle aussi devrait être apprécié en fonction de son
utilité pour la paix sociale. Tout en reconnaissant quelque vérité
dans cette opinion, il est difficile de ne pas voir que, sans
un ancrage moral objectif, la démocratie elle-même ne peut pas
assurer une paix stable, d'autant plus qu'une paix non fondée sur
les valeurs de la dignité de tout homme et de la solidarité entre
tous les hommes reste souvent illusoire. Même dans les régimes de
participation, en effet, la régulation des intérêts se produit
fréquemment au bénéfice des plus forts, car ils sont les plus
capables d'agir non seulement sur les leviers du pouvoir mais encore
sur la formation du consensus. Dans une telle situation, la
démocratie devient aisément un mot creux.
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